Les feux de forêt transforment d’importants puits de carbone nordiques en grands émetteurs

En 2014, nous nous sommes rendus dans les forêts boréales du nord du Canada pour allumer des feux expérimentaux qui nous aideraient à comprendre l’effet des feux de forêt sur le cycle mondial du carbone.

Malheureusement, nous n’avons jamais eu la chance d’allumer ces feux, car les pompiers recrutés pour nous aider étaient occupés à gérer une zone de la taille de la Belgique qui brûlait déjà.

Cette saison de feux de forêt a été la plus grave jamais enregistrée dans la région, qui fait elle-même partie de l’écosystème boréal plus vaste qui englobe une grande partie des terres subarctiques de l’hémisphère Nord avec des forêts de conifères façonnées par le feu.

Grâce en partie aux sols et aux tourbières avides de carbone qu’elles contiennent, ces forêts sont des puits de carbone bien supérieurs à leur poids, puisqu’elles couvrent 10 % des terres de la planète, mais stockent un tiers du carbone terrestre.

Selon une nouvelle étude portant sur les conséquences des incendies de forêt de 2014 au Canada, ce carbone stocké est menacé. Les incendies de forêt deviennent si fréquents et si intenses qu’ils transforment déjà certaines zones de forêt boréale de puits de carbone en émetteurs nets.

La majeure partie du carbone de ces écosystèmes n’est pas stockée dans les arbres, mais dans les sols. Dans les paysages boréaux froids et souvent gorgés d’eau, les organismes vivant dans le sol ne sont pas en mesure de “manger” la matière organique morte qui tombe sur le sol forestier aussi rapidement que dans les climats plus chauds et plus secs.

Cela permet aux sols d’accumuler du carbone pendant des millénaires, faisant des écosystèmes boréaux certains des plus importants puits de carbone au monde.

Les incendies de forêt, dont la plupart sont déclenchés naturellement par la foudre, interrompent ce processus d’accumulation en brûlant les arbres et la couche supérieure de ce sol organique – cette dernière représentant en moyenne trois fois plus de CO2 libéré par le feu que les arbres eux-mêmes.

Dans le cadre du cycle naturel du carbone, le carbone perdu est à nouveau stocké par les nouveaux arbres qui utilisent le CO2 de l’air pour pousser, ainsi que par les plantes, feuilles et branches mortes qui s’accumulent dans le sol.

Il peut s’écouler plusieurs décennies avant que tout le carbone émis lors d’un incendie ne soit récupéré par l’écosystème, mais tant que l’intervalle entre deux incendies est plus long que le temps nécessaire pour récupérer le carbone perdu, les forêts boréales restent un puits de carbone.

En échantillonnant plus de 200 endroits, les nouveaux chercheurs ont découvert que plus d’un quart de cette forêt canadienne brûlée lors des incendies de 2014 n’avait pas plus de 60 ans – bien plus jeune que la période historique moyenne entre deux incendies d’un à deux siècles dans cette région.

Ils ont utilisé une méthode astucieuse de datation du carbone pour montrer que, pour environ la moitié de la superficie de cette jeune forêt brûlée en 2014, le sol avait perdu plus de carbone lors de l’incendie de 2014 que celui accumulé depuis le précédent incendie des années 1960.

En d’autres termes, l’intervalle entre les incendies était si court que le feu a également brûlé des couches organiques qui contenaient du “carbone hérité” accumulé avant les années 1960. Ainsi, la moitié du jeune sol forestier est passée d’un puits de carbone à une source de carbone au cours de ce cycle de récupération après incendie.

Le changement climatique raccourcit l’intervalle entre les incendies dans les régions boréales, ce qui laisse moins de temps aux forêts pour repousser. Il augmente également l’intensité des feux individuels, ce qui leur permet de brûler plus profondément dans le sol.

Ces facteurs signifient qu’une part de plus en plus importante d’un écosystème dont nous dépendons tant pour éliminer le carbone de l’atmosphère pourrait bientôt se retrouver du côté opposé du bilan carbone.

Cela est vrai non seulement pour les forêts boréales d’Amérique du Nord, mais aussi pour les vastes forêts de Russie, de Chine et d’autres régions subarctiques couvertes par cet écosystème tentaculaire.

Nous étudions actuellement les forêts boréales du nord-est de la Chine, une région peu étudiée, où des gestionnaires forestiers inquiets signalent une diminution de la couverture neigeuse et des brûlages d’une intensité et d’une étendue qu’ils n’ont jamais connues auparavant.

Que pouvons-nous donc faire pour protéger le puits de carbone boréal ? Compte tenu de l’ampleur et de l’éloignement de la plupart des incendies boréaux, des mesures de lutte globales nécessiteraient des ressources astronomiques – comme l’ont souligné les autorités russes en réponse aux vastes incendies qui ont ravagé la Sibérie cet été.

Une meilleure solution consisterait à protéger les tourbières saines et à restaurer celles qui sont asséchées, car elles peuvent constituer des coupe-feu naturels très efficaces – et si elles prennent feu, elles récupèrent le carbone relativement vite.

Mais la réalité est que nous sommes impuissants à modifier de manière substantielle l’effet des feux de forêt sur le système forestier boréal, si ce n’est en réduisant rapidement nos émissions de carbone. Il est temps que l’énergie renouvelable se répande comme un feu de forêt.