Depuis près de neuf décennies, l’explication favorite de la science concernant l’origine de la vie est la “soupe primordiale”. Il s’agit de l’idée que la vie est née d’une série de réactions chimiques dans un bassin chaud à la surface de la Terre, déclenchées par une source d’énergie externe telle qu’un éclair ou une lumière ultraviolette (UV).
Mais des recherches récentes donnent plus de poids à une autre idée, selon laquelle la vie serait apparue dans les profondeurs de l’océan, dans des structures chaudes et rocheuses appelées cheminées hydrothermales.
Une étude publiée le mois dernier dans Nature Microbiology suggère que le dernier ancêtre commun de toutes les cellules vivantes s’est nourri d’hydrogène gazeux dans un environnement chaud et riche en fer, comme celui des cheminées hydrothermales. Les partisans de l’hypothèse conventionnelle ont été sceptiques quant à la possibilité que ces découvertes changent notre vision des origines de la vie.
Mais l’hypothèse des cheminées hydrothermales, qui est souvent décrite comme exotique et controversée, explique comment les cellules vivantes ont acquis la capacité d’obtenir de l’énergie, d’une manière qui n’aurait pas été possible dans une soupe primordiale.
Selon l’hypothèse classique, la vie aurait commencé lorsque la foudre ou les rayons UV ont provoqué l’assemblage de molécules simples en composés plus complexes, ce qui a abouti à la création de molécules porteuses d’informations similaires à notre propre ADN, logées dans les bulles protectrices des cellules primitives.
Des expériences en laboratoire confirment que des traces des éléments constitutifs des protéines et des molécules de stockage de l’information peuvent effectivement être créées dans ces conditions. Pour beaucoup, la soupe primordiale est devenue l’environnement le plus plausible pour l’origine des premières cellules vivantes.
Mais la vie ne se limite pas à la reproduction des informations stockées dans l’ADN. Tous les êtres vivants doivent se reproduire pour survivre, mais la réplication de l’ADN, l’assemblage de nouvelles protéines et la construction de cellules à partir de rien nécessitent d’énormes quantités d’énergie.
Au cœur de la vie se trouvent les mécanismes permettant d’obtenir de l’énergie de l’environnement, de la stocker et de la canaliser en permanence dans les réactions métaboliques clés des cellules.
L’origine de cette énergie et la façon dont elle arrive peuvent nous en apprendre beaucoup sur les principes universels qui régissent l’évolution et l’origine de la vie. Des études récentes suggèrent de plus en plus que la soupe primordiale n’était pas le bon type d’environnement pour alimenter l’énergie des premières cellules vivantes.
Il est classique de savoir que toute vie sur Terre est alimentée par l’énergie fournie par le soleil et captée par les plantes, ou extraite de composés simples comme l’hydrogène ou le méthane. Ce que l’on sait moins, c’est que toutes les formes de vie exploitent cette énergie d’une manière identique et assez particulière.
Ce processus fonctionne un peu comme un barrage hydroélectrique. Au lieu d’alimenter directement leurs réactions métaboliques de base, les cellules utilisent l’énergie de la nourriture pour pomper des protons (atomes d’hydrogène chargés positivement) dans un réservoir situé derrière une membrane biologique. Cela crée ce que l’on appelle un “gradient de concentration”, avec une plus forte concentration de protons d’un côté de la membrane que de l’autre.
Les protons refluent ensuite à travers des turbines moléculaires intégrées à la membrane, comme l’eau qui coule dans un barrage. Cela génère des composés à haute énergie qui sont ensuite utilisés pour alimenter le reste des activités de la cellule.
La vie aurait pu évoluer pour exploiter n’importe laquelle des innombrables sources d’énergie disponibles sur Terre, de la chaleur ou des décharges électriques aux minerais naturellement radioactifs. Au lieu de cela, toutes les formes de vie sont mues par les différences de concentration de protons à travers les membranes des cellules.
Cela suggère que les premières cellules vivantes ont récolté de l’énergie d’une manière similaire et que la vie elle-même est apparue dans un environnement dans lequel les gradients de protons étaient la source d’énergie la plus accessible.
L’hypothèse de l’évent
Des études récentes basées sur des ensembles de gènes susceptibles d’avoir été présents dans les premières cellules vivantes font remonter l’origine de la vie aux cheminées hydrothermales des grands fonds marins. Il s’agit de structures géologiques poreuses produites par des réactions chimiques entre la roche solide et l’eau.
Les fluides alcalins de la croûte terrestre remontent le long de la cheminée vers l’eau plus acide de l’océan, créant ainsi des différences naturelles de concentration de protons remarquablement similaires à celles qui alimentent toutes les cellules vivantes.
Les études suggèrent qu’aux premiers stades de l’évolution de la vie, les réactions chimiques dans les cellules primitives étaient probablement commandées par ces gradients de protons non biologiques. Les cellules ont ensuite appris à produire leurs propres gradients et se sont échappées des évents pour coloniser le reste de l’océan et finalement la planète.
Alors que les partisans de l’hypothèse de la soupe primordiale affirment que les décharges électrostatiques ou le rayonnement ultraviolet du Soleil ont été à l’origine des premières réactions chimiques de la vie, la vie moderne n’est alimentée par aucune de ces sources d’énergie volatile. Au contraire, les gradients ioniques à travers les membranes biologiques sont au cœur de la production d’énergie de la vie.
Rien de semblable, même de loin, n’aurait pu émerger dans les bassins chauds du bouillon primitif à la surface de la Terre. Dans ces environnements, les composés chimiques et les particules chargées ont tendance à se diluer uniformément au lieu de former des gradients ou des états de non-équilibre qui sont si essentiels à la vie.
Les cheminées hydrothermales des profondeurs représentent le seul environnement connu qui aurait pu créer des molécules organiques complexes avec le même type de mécanisme d’exploitation de l’énergie que les cellules modernes. Chercher les origines de la vie dans la soupe primordiale avait un sens lorsque l’on connaissait peu les principes universels de l’énergétique de la vie.
Mais à mesure que nos connaissances s’élargissent, il est temps d’adopter d’autres hypothèses qui reconnaissent l’importance du flux énergétique à l’origine des premières réactions biochimiques. Ces théories comblent de façon transparente le fossé entre l’énergétique des cellules vivantes et celle des molécules non vivantes.